Comment la tortue s’enrichit.
LES GUÉRÉS PEUPLE DE LA FORÊT, Capitaine René VIARD
de l’infanterie coloniale, 1934
(Dicté par Médy, interprète à Toulépleu).
La tortue mâle souffrait de sa pauvreté. Une nuit, elle demanda
à sa femme comment il fallait opérer pour trouver de
l’argent. Sa femme lui répondit que pour s’enrichir sans travailler
il suffisait d’emprunter à diverses personnes et de s’arranger
pour que celles-ci ne puissent vous réclamer leur dû.
Après maintes réflexions, la tortue alla trouver un grain de
maïs, lui emprunta une somme de 1.000 cauris (1) et lui demanda
de venir se faire rembourser huit jours après. Puis elle
se rendit chez le coq, lui emprunta la même somme et lui fixa
le même rendez-vous. Elle fit successivement de même avec le
chat, le chat-tigre, la panthère, un chasseur, un sorcier, un
arbre à bois rouge, le feu, et enfin la pluie.
Après avoir obtenu de toutes ces personnes riches les prêts
qu’elle sollicitait, la tortue rentra tranquillement chez elle et
prépara sa salle à manger de telle sorte que chacun de ses débiteurs
y tombe dans un piège approprié au jour où il viendrait
réclamer son dû.
Le jour fixé arriva. Tous les débiteurs se présentèrent ainsi
que l’avait fixé la tortue. Le premier fut le grain de maïs. La
tortue engagea une longue conversation avec lui jusqu’à l’arrivée
du coq. Le grain de maïs s’empressa alors de se cacher
(1) Cauri : petit coquillage qui servait autrefois de monnaie.
dans un tas d’ordures. Mais le coq s’empressant de gratter dans
le tas découvrit le grain de maïs et l’avala. Le chat se présenta
sur ces entrefaites et apercevant le coq se jeta sur lui et le dévora.
Le chat-tigre à son tour pénétra dans la salle et apercevant le
chat son ennemi bondit dessus et le tua. La panthère arrive
majestueusement, trouve le chat-tigre en train de se repaître
des restes du chat et le dévore incontinent. Le chasseur survient
alors et voyant la panthère dans la maison s’empresse de la
tuer; mais il est à son tour mis à mort par le sorcier qui lui
jette un mauvais gri-gri. Le bois rouge à son tour se présentant
pour réclamer son dû aperçoit le sorcier et le fait mourir. Enfin,
le feu surprenant le bois rouge le réduit en cendres jusqu’à ce
que la pluie survenant arrose le feu copieusement et le réduit
à néant. La tortue remboursa la pluie de ce qu’elle lui avait
prêté mais garda l’argent de tous les autres débiteurs et fut
ainsi riche à peu de frais.