L’ESCLAVAGE DANS LA SOCIETE AYAOU DE COTED’IVOIRE : DES ORIGINES A NOS JOURS

L’ESCLAVAGE DANS LA SOCIETE AYAOU DE COTED’IVOIRE : DES ORIGINES A NOS JOURS

KRA Yao Sévérin

mémoire de thèse 2016

http://archives.uvci.edu.ci:52003/data/LOT2/THESES_HISTOIRE/THESE_636960266993068683.pdf

Enquête sur l’esclavage chez ce peuple baoulé. l’auteur est lui même ayaou

P193

CHAPITRE V: LES IMMOLATIONS D’ESCLAVES AVANT LES GUERRES
ANTICOLONIALES: LE KLIN KPLI, L’AGENT
PRINCIPAL DES SACRIFICES HUMAINS
Les immolations d’esclaves faisaient partie intégrante des coutumes dans
certaines sociétés traditionnelles africaines. Dans I’ Ayaou, les esclaves étaient sacrifiés
comme on sacrifie des animaux domestiques aux divinités tutélaires. Si dans les sociétés
antiques (Rome, Grèce) et coloniales d’Amérique les esclaves étaient exécutés pour des
raisons disciplinaires ou transgressionnaires, ce type de sanction étaient quasiinexistantes dans I ‘Ayaou. La mise à mort d’un esclave dans cette société était fondée sur
des croyances religieuses; et c’est le klin kpli (l’immense tambour) qui était
généralement au centre de ces sacrifices humains. Il s’agit dans cette partie de montrer la
nature et les fonctions de ce tambour dont la danse entrainait parfois les sacrifices
d’esclaves, ensuite de montrer quand on dansait le klin kpli

P194

Dans la croyance ayaou, le klin kpli (le grand tambour) est un instrument sacré et
mystique entouré d’un grand respect. Selon nos informateurs, le caractère sacré du klin
kpli ne fait aucun doute. Le klin kpli n’est pas n’importe quel tambour, affirme
N ‘Guessan Aka le tambourinaire actuel du klin n ‘da de Pakouabo. Il se distingue des
autres tambours de par sa « naissance » et ses utilisateurs
564
. En effet, après la fabrication
du membranophone, sa sacralisation nécessitait l’immolation d’un être humain non les
moindres, le sculpteur du tambour lui-même.
Par un jeu de trahison, l’auteur de la sculpture qui, dans l’attente des compliments
et des dons pour réconpenser son savoir faire, était exécuté et de son sang, on aspergeait
le nouveau tambour qui devenait ainsi un tambour sacré
565
• Si pendant la colonisation
française, le sang de bœuf était utilisé pour adorer le tambour en remplacement du sang
des esclaves dans certaines localités, la sacralisation de cet instrument redoutable ne
pouvait se faire sans du sang humain
566
• Une fois sacralisé, le nouveau tambour portait le
nom du sculpteur sacrifié. C’est dans ce contexte que le tambour de Pakouabo porte le
nom de Blimoli le sculpteur du tambour de ce village du nord ayaou
567
• Chaque sept ans,
un être humain était sacrifié en l’honneur du tambour pour renforcer sa puissance
568
.
Le professeur Niangoran-Bouah a repris un poème ésotérique relatif au sacrifice
du sculpteur Boa, mentionné dans le tambour royal de Sakassou :
« Boa,
Déesses, Ciel et Terre,
Boa a sculpté
Un tambour chef-d’œuvre.
Pour le récompenser,
Il fut décapité
Et c’est avec son sang
Que le rituel de

Sacralisation fut accomplie.
Penchez-vous sur son cas et
Rendez-lui justice! »

P218 CHAPITRE VI: CONQUÊTE COLONIALE ET BOULEVERSEMENT
SOCIOPOLITIQUE DANS L’AYAOU
Les esclaves ont joué un grand rôle dans les guerres d’occupation et de résistance coloniale dans l’ Ayaou. En effet, ces guerres de conquêtes présentées comme une lutte contre l’esclavage par le conquérant français, furent accueillies par les esclaves maltraités comme une délivrance, ils apportaient donc leur soutien. Sans tirer les leçons «du divorce», des maîtres continuaient à sacrifier leurs esclaves restés loyaux, cette fois pour
réactiver la puissance de leurs dieux protecteurs lors de ces combats.

P221

Les Ayaou, du fait de leur résistance vigoureuse à la conquête française depuis 1907 sont perçus comme un peuple violent, féticheur et destructeur d’esclaves. En réalité, I’ Ayaou était un peuple guerrier, l’avant-garde de la reine Akoua Bony dans le royaume du Walèbo à Sakassou. Cette fonction exigeait des puissances surnaturelles extrêmcs. Ce sont ces pouvoirs mystiques dont la réactivation nécessitait des sacrifices humains que ce peuple « entrainé à la guerre » réussit à infliger les premiers échecs aux troupes coloniales en 1907 et en 1909. Depuis lors, les Ayaou apparaissaient aux yeux du colonisateur comme un peuple féticheur, destructeur d’esclaves et hostile à la présence française. D’où aussi l’idée selon laquelle les peuples africains hostiles à la présence française, sont ceux qui détiennent des esclaves en grand nombre.

P224

La synthèse des rapports sur l’esclavage en AOF révèle environ 2 millions de captifs sur une population globale de 8 millions d’habitants. La répartition de ces captifs sur les colonies du groupe donne les chiffres suivants : 200000 esclaves au Sénégal, 250000 au Dahomey, 450000 à la Guinée, 500000 à la Côte d’Ivoire et 600000 au HautSénégal-Nigerv ». Ces esclaves, une fois libérés, étaient regroupés en villages dits de liberté, véritables viviers de main-d’œuvre coloniale. Mais, il fallait annoncer aux populations insoumises les bienfaits de la libération pour les maîtres et pour les esclaves principalement. C’était un moyen d’action pour les colons dans ces pays.


Ainsi, on assista au massacre ou à la déportation des chefs locaux téméraires opposés à la colonisation. A la fin des combats de résistance dans I ‘Ayaou en 1911, on dénombra 644 guerriers ayaou tués et des chefs de villages et notables déportés cette année. A Aka N’Guessankro, le jeune frère du chef du village, Aka Angban se livra volontairement aux colons à la place de son frère aîné Aka N’Guessan, chef de village.


Les populations ayaou n’ont aucun souvenir d’une quelconque répression violente contre l’esclavage domestique dans l’Ayaou par l’administration coloniale. Au contraire, elles soutiennent qu’elle n’a fait qu’accroître la classe des asservis dans la société à cause des exigences liées à l’impôt de capitation.

C’est pour ces violations flagrantes des droits de l’homme que les villages dits de liberté furent condamnés par la commission de l’esclavage de la Société Des Nations en juillet 1925.


On retient de cette analyse que les discours antiesclavagistes avancés par le
colonisateur français n’étaient qu’un prétexte pour asseoir le pouvoir colonial en Afrique.

P254-271 CHAPITRE VII: L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE TRADITIONNEL
DANS L’AYAOU: LES AMBIGÜITÉS D’UNE LUTTE
DOMINÉE PAR LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES

chapitre fort intéressant sur l’abolition de l’esclavage à partir de 1906

P273 abolition des meurtres rituels vers 1967

Ainsi, en 1967, sept ans après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, aux funérailles de N’Dja Tchémélé Djaha, un noble de Pakouabo, un roi venu du Walèbo exigea que son tambour parleur qu’il fit venir pour les obsèques du défunt soit « peint», c’est-à-dire soit aspergé de sang humain. Le fils du défunt, N’Dja Koffi Blaise, qui était un ministre du gouvernement d’Houphouët en son temps, lui fit comprendre que ces pratiques étaient
abolies par les nouvelles lois et qu’il n’était plus question de sacrifier des hommes au nom d’un tambour. Car ces pratiques, non seulement constituent une perte pour l’humanité mais frustrent une partie de la population. Le roi resta un peu confus et se
soumit aux conseils du ministre. L’appel du cadre fut plus ou moins entendu dans I’ Ayaou et les immolations officielles furent bannies progressivement du quotidien de ce peuple. Mais des obnubilés de cette coutume ne renonçaient cependant pas à cette pratique. Ils remplacèrent ces exécutions sommaires par des éliminations mystiques ou empoisonnements à la poudre mortelle qui ne répondent pas aux normes des immolations originelles. On n’assiste plus à des sacrifices, mais plutôt à des meurtres pour rendre « un hommage aux défunts ». A cela s’ajoutent les préjugés qui persistaient dans les villages malgré ses sensibilisations.
Sans mener une lutte spécifique contre l’esclavage traditionnel, mais au nom du droit à la liberté naturelle et à l’égalité dans la naissance, l’Etat de Côte d’Ivoire, en 2000, à travers la constitution du pays, interdit officiellement l’esclavage sur toute l’étendue du territoire.

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