R A P P O R T Nº 12 1938 sur la basse cote d’ivoire ouest
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Coutume Ouobé
Nous retrouvons les interminables redevances versées aux parents de la femme même après le mariage et non seulement à la naissance, mais au décès d’un enfant. Le décès de la femme se paie aussi. Lorsqu’au bout de 2 ans, une femme n’a pas d’enfants, les autres se moquent d’elle; elle retourne chez ses parents et le mari « ayant fait perdre le temps de la femme » n’est pas remboursé.
Cette coutume crée des conflits avec les Dioula de Man, qui, vieux et riches, épousent des filles Ouobé… L’un d’eux, abandonné par 4 femmes, a réclamé 4 dots devant le Tribunal et les assesseurs dioula lui ont donné gain de cause.
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Village de Diezon
Dans toute la région nous retrouvons la case à grenier, très propre et bien organisée que nous avons vue chez les Guéré. Le chef du village de Diezen donne les renseignements suivants sur la vie du village :
Autrefois, on avait beaucoup de riz et on mangeait bien. Maintenant, on cultive beaucoup plus et on manque de nourriture parce qu’il faut fournir l’administration qui ravitaille les manoeuvres des planteurs européens; parce que les Dioula achètent pour la Basse-Côte; parce qu’il passe beaucoup de voyageurs. A propos du riz fourni aux planteurs, M. TRANIN ajoute que tous n’en obtiennent pas et qu’il a dû exiger sa part du stock que M. PAL répartissait selon ses préférences. M. PAL aurait en outre revendu 0.80 à des commerçants d’Abidjan 17 tonnes de riz achetées à 0.60 et stockées à Danané.
Tout ce riz s’en va, on ne fait pas de greniers de réserve. La Société de Prévoyance, en 1932-33 s’occupait beaucoup des cultures. Maintenant, on verse la cotisation et on n’entend plus parler de rien.
Les produits se vendent plus cher qu’autrefois, on a de l’argent, mais on ne trouve pas de vivres à acheter. On manque aussi de viande. Le chef de canton a tous les fusils. Il fait chasser et vend une cuisse de petite biche 7 Fr. 50, une cuisse de cochon, 15 Frs.
Une vieille femme dit que les jeunes travaillent moins que leurs aînés. Elles portent des pagnes et « font faraud ».
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Elles ne quittent pas le village, excepté pour partir avec les travailleurs recrutés (6 femmes pour 50 hommes). Les enfants meurent davantage (syphilis ?) il y a moins de villages et ils sont plus petits.
VILLAGE DE TICHIGNE (OUOBE[2])
Perché sur des rochers, n’a pas reçu la visite d’un administrateur depuis les recrutements de 1918.
Portage
M. TRANIN, (comme M. CHAMPEAU Chef de la Subdivision de Boundiali) estime que les centres d’achat gênent les indigènes plus qu’ils ne les servent. Tous connaissent les cours et savent défendre leurs intérêts. Le marché contrôlé a surtout pour avantage, dit-il, de permettre à l’Administrateur d’accuser un plus gros tonnage. Le portage au centre représente souvent 20 km de route. Et il ne faut pas oublier que la torsion du sentier augmente cette route d’un tiers. En outre, le portage, en frais de repas et de couchage, une dépense d’au moins 5 Frs. Dans une ville comme MAN, où la circulation est considérable, et surtout un jour de marché, il ne peut plus être question d’hospitalité gratuite.
Les Noix de kola
La région de MAN tire sa principale richesse du kolatier. Cet arbre pousse spontanément en très grand nombre. Il peut donner 4 ou 5 tines de 250 noix qui sont vendues 5 Frs le 100 au moment de la récolte et, plus tard, 10 Frs.
La cueillette se fait à l’aide d’une sorte de fourche. Les fruits doivent tremper 2 heures, on les ouvre, on sort les noix et on les écorche. Mais ce n’est là que le petit côté d’une industrie qui consiste surtout à conserver aux noix leur fraîcheur, pendant la route, jusqu’au lieu de consommation.
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Manoeuvres
Le cercle de Man qui, normalement pourrait fournir 3.000 manoeuvres, en fournit 10.000. « Ils sont difficiles à trouver, dit le médecin, la race n’est pas belle, très atteinte, par la trypanosomiase ». Le chef du village de Diezon, ajoute : « Trop de blancs demandent des hommes. On n’en trouve pas assez, il faut les trouver quand même. Ceux qui reviennent ne sont pas contents. On leur a promis 75 Frs par mois, ils n’en ont reçu que 25. Ou bien on les a frappés. Même malades, on les frappe pour les forcer à travailler. Ceux qui réclament, le planteur les signale à l’Administration. « Un tel s’est sauvé ». On le met en prison.
Beaucoup de ceux qui partent ne reviennent pas. M. GHILLON, instituteur, explique comment certains planteurs opèrent : les uns s’en vont charger sur la route les hommes que le service de santé a reconnus inaptes, les autres donnent 10 francs par homme au chef de canton. Et tel qui est ainsi parvenu à former un convoi se le voit enlever par un concurrent qui offre 25 frs par homme. Ainsi partent les inaptes, aux mains de gens que l’Administration n’autoriserait pas à recruter.
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Justice
« Sans les femmes, dit le Président, on pourrait fermer le Tribunal ».
Au civil, ce sont les maris qui réclament, non pas quand leur femme les abandonne, mais quand elle a eu plusieurs enfants d’un amant et qu’ils sont en âge de travailler, d’être mariés.
Quand la femme n’a pas été mariée, ce sont les parents qui réclament.
Au criminel, quelques cas d’anthropophagie rituels, en nombre décroissant. Le sacrifice d’enfant (souvent un neveu) a pour but de rajeunir le consommateur. Les femmes sont …/…
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généralement complices pour avoir préparé la cuisine. Comme elles ne sont pas condamnées à mort, elles font de longs séjours en prison. Un quart de l’effectif de la prison de Man est constitué par de vieilles femmes, depuis longtemps condamnées pour anthropophagie.
Une de ces prisonnières, d’âge moyen, interrogée au moment où elle faisait la corvée d’eau, dit que les femmes sont frappées par les gardes quand la cuisine n’est pas prête et quand elles se refusent. Les gardes de Man sont accusés, (de sources multiples) de si nombreux abus que celui-ci n’étonne pas.